Armand Houanye, Secrétaire exécutif (SE) du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’ouest, donne des éclairages sur les actions de son organisation en ces temps de lutte contre la Covid-19

Armand Houanye est Secrétaire exécutif (SE) du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’ouest, en anglais Global Water Partnership (GWP-AO) basé à Ouagadougou, couvrant les 15 pays de la CEDEAO et travaillant étroitement avec les Partenariats nationaux de l’eau (PNE). Il aborde ici, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau (JME), l’action de son organisation aux côtés des acteurs nationaux et internationaux, les contraintes liées à la pandémie à Coronavirus, les stratégies développées pour y faire face ; les acquis et défis du secteur de l’eau et de l’assainissement en Afrique de l’Ouest, y compris le Burkina Faso. Entretien exclusif.

Armand Houanye, Secrétaire exécutif (SE) du Partenariat régional de l’eau de l’Afrique de l’ouest, donne des éclairages sur les actions de son organisation en ces temps de lutte contre la Covid-19

Burkina Demain : Vous êtes le Secrétaire exécutif du GWP-AO. Quels sont vos grands défis en ces temps encore marqués par la lutte contre la Covid-19 ?

Armand Houanye : Vous savez GWP est une plateforme neutre ouverte à tous les acteurs du secteur de l’eau et domaines connexes qui mène plusieurs activités telles que le plaidoyer, le renforcement de capacités, le réseautage en vue de contribuer à une amélioration de la gouvernance et de la gestion des ressources en eau aux niveaux sous-régional, transfrontalier, national et local en Afrique de l’Ouest. Ces activités, de par leur nature, nécessitent par moment des rencontres et des interactions physiques entre les parties prenantes pour échanger, planifier et faire avancer les priorités liées à la gestion et au développement des ressources en eau à différents niveaux.

De ce fait, la pandémie de la Covid-19 impacte donc négativement le déroulement normal d’une part importante des activités du Réseau depuis le début de l’année 2020. Comme de nombreuses organisations à travers le monde, nous avons dû réadapter nos schémas d’intervention et cela induit des retards dans l’exécution des activités des différents projets et programmes que nous implémentons dans différents pays et à l’échelle sous-régionale.

Dans quelle proportion cette pandémie a-t-elle affecté vos activités, la mise en œuvre de votre plan de travail adopté en 2019 ?

Cela nous a affecté sérieusement car nous avons dû au départ marqué une période d’observation par mesure de précaution avant que l’OMS et les Etats de la CEDEAO ne confirment qu’il s’agit d’une pandémie qui risque de durer au-delà de l’année 2020. C’est au cours du dernier trimestre de l’année que nous avons pu mettre en place quelques réajustements pour pouvoir mener certaines activités notamment de deux projets ciblant le bassin de la Volta et la portion nigérienne du sous bassin de Mékrou.

Vous savez que pendant une bonne partie de l’année 2020, il n’était pas possible de voyager dans la sous-région, ni d’organiser des activités avec regroupement physique des personnes en raison des mesures barrières nécessaires adoptées par tous les gouvernements pour contrer un tant soit peu la propagation du coronavirus.

Comment organisez-vous pour parvenir à surmonter ces difficultés liées à la Covid-19 ?

Nous avons heureusement pu nous réorganiser avec nos partenaires pour pouvoir mettre en œuvre certaines activités. Au niveau du Réseau mondial du GWP toutes les activités de concertation, qui nécessitaient des voyages et des regroupements physiques des acteurs, sont désormais organisées en ligne. L’opérationnalisation de cette mesure nécessite de bonnes conditions d’accès et de connexion à l’internet pour les acteurs. Et sur ce plan, notre région a de gros efforts à faire.

Avec la mise en place des tests PCR pour les voyages, nous avons pu mener quelques activités dans certains pays de la sous-région. Mais pour toutes nos actions y compris dans les locaux du Secrétariat Exécutif régional à Ouaga 2000, nous privilégions toujours la santé des partenaires et du personnel en mettant un accent particulier sur l’observance par tous des gestes barrières.

Mais, il n’y a pas que le Coronavirus qui affecte les pays dans lesquels vous intervenez. Il y a aussi le terrorisme dans la région du Sahel…

Vous avez raison et ceci constitue aujourd’hui une préoccupation planétaire et au plus haut niveau dans les pays de notre sous-région. Nous avons mené des réflexions à propos ensemble avec le Secrétariat mondial du GWP ainsi que les membres du Comité du Pilotage sous-régional sous la direction du Président du GWP-AO le Prof. Amadou Hama MAÏGA. Nous exprimons notre solidarité à l’endroit des populations tout en nous alignant sur les orientations édictées par les autorités du Burkina Faso et des autres Etats de la sous-région.

Comment appréciez-vous les résultats du Burkina Faso en matière de lutte pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, avec à ce jour un taux d’accès à l’eau potable estimé à 77, 73% en 2020 et un taux d’accès à l’assainissement de 23% ?

Le pays a très vite pris conscience des enjeux liés à la gestion durable des ressources en eau et a mis en place les mesures idoines en termes d’environnement favorable (lois, politique et stratégies), de cadre institutionnel ainsi que d’instruments/ d’outils de gestion et de mécanismes de financement pour cela. Nous apprécions ces progrès importants réalisés par l’Etat du Burkina Faso tout en l’exhortant, ensemble avec tous les partenaires au développement, à redoubler d’efforts en vue d’un accès effectif à tous les Burkinabè, tant à l’eau pour tous les usages qu’à l’assainissement dans les conditions de dignité exigées à l’échéance de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable.

Faut-il voir dans ces résultats une bonne application de l’approche Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) que promeut le GWP-AO ?

Tout à fait. Le Burkina Faso est considéré comme l’un des pionniers et champions de la GIRE non seulement en Afrique de l’Ouest mais en Afrique. Comme vous le savez, notre niche, c’est l’approche de la Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) que GWP a contribué à promouvoir partout dans le monde. Et la GIRE est définie par le GWP comme «un processus qui favorise le développement coordonné et la gestion de l’eau, des terres et des ressources associées, afin de maximiser le bien-être économique et social qui en résulte, d’une manière équitable, sans compromettre la durabilité des écosystèmes vitaux ».

Et au Burkina Faso, si les efforts en la matière en cours sont maintenus et se renforcent, le pays pourra sans doute atteindre les objectifs essentiels pour toutes les composantes de sa population dans des délais raisonnables, quels que soient les défis actuels.

SE Armand Houanye : «le Burkina a très vite pris conscience des enjeux liés à la gestion durable des ressources en eau et a mis en place les mesures idoines en termes d’environnement favorable»

Le Burkina compte à ce jour cinq agences de l’eau (Nakanbé, Mouhoun, Cascades, Gourma et du Liptako). Est-ce que ce n’est pas trop pour un petit pays aux moyens limités comme le nôtre ? 

L’Etat du Burkina Faso a décidé d’assurer une gestion intégrée par bassin hydrographique des ressources en eau du pays. Le bassin versant étant l’ensemble du territoire drainé par un cours d’eau principal et par ses tributaires, cette approche de gestion a l’avantage entre autres de :

-pouvoir rassembler les usagers et acteurs de la ressource eau œuvrant dans un même bassin versant pour qu’ils se concertent sur les usages à privilégier et les actions nécessaires à entreprendre ;

-utiliser comme il le faut les fonds publics et privés en favorisant une coordination plus efficace des actions de GIRE entreprises par les divers intervenants du territoire ;

-mieux gérer et/ou prévenir les conflits d’usages entre la préservation des écosystèmes et les activités de développement économique ;

-mettre en place une vision commune pour le moyen et long termes en favorisant la participation du public dans le processus de prise de décision et faire appel au leadership des acteurs locaux.

Au vu de ces avantages et du principe de subsidiarité qui recommande d’assurer la mise en œuvre de la GIRE au niveau spatial le plus bas approprié, on ne saurait dire que cinq agences sont trop à partir du moment qu’il n’y a rien de forcer ou créer artificiellement mais plus lier aux réalités du pays pour mieux gérer les ressources naturelles y compris l’eau des différents sous bassins.

Qu’est que vous apportez comme assistance et soutien au fonctionnement de ces agences de l’eau ?

Nous collaborons avec le Burkina Faso à travers plusieurs services du Ministère de l’Eau et l’Assainissement dont la DGRE (Direction générale des ressources en eau), le SP/GIRE (Secrétariat permanent de la gestion intégrée des ressources en Eau).

Le GWP-AO développe également un portefeuille d’opérations au Burkina Faso à travers le Partenariat National de l’Eau du Burkina – Faso (PNE Burkina Faso) qui a accompagné par exemple l’Agence de l’Eau du Nakanbé dans la restructuration du Comité Local de l’Eau du Massili Nord. Au-delà des Agences de l’Eau, le GWP-AO dans le cadre d’une collaboration avec le SP/ CNDD (Secrétariat du Conseil national de développement durable) a également œuvré ensemble avec d’autres partenaires au renforcement de la prise en compte de la sécurité en eau dans le processus national de l’adaptation au changement climatique au Burkina Faso. On peut aussi mettre en avant l’appui aux associations villageoises à Ramitenga qui ont été dotées de systèmes d’irrigation goutte à goutte avec utilisation de l’énergie solaire et la mise en place d’un parc agroforestier à Komki Ipala.

Ceci pour vous dire que ce sont des actions multiformes qui contribuent à assurer la sécurité en eau, l’adaptation au changement climatique et la gestion des effets néfastes des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse et inondation) dans le pays.

La communauté internationale célèbrera le 22 mars prochain la journée mondiale de l’eau sous le thème de « La place de l’eau dans nos sociétés et comment la protéger ». Qu’en pensez-vous ?

La célébration de la Journée Mondiale de l’Eau tous les 22 mars depuis 1993 est décidée par les Nations Unies pour mettre l’accent sur l’importance de l’eau douce et sensibiliser sur la situation de toutes les personnes à travers le monde qui vivent sans accès à de l’eau salubre. Chaque année un thème est retenu justement par les Nations Unies et cette année le thème est ce que vous avez rappelé. Ce qui vise à faire de l’eau l’affaire de tous car c’est la ressource la plus précieuse indispensable à la vie et au développement qui mérite d’être maintenue en bon état et protéger par tous.

Que faut-il comprendre par le choix de ce thème, les enjeux ?

Ce thème nous interpelle tous, en tant qu’individu, personne morale ou physique, quel que soit le niveau auquel on se situe, à prendre conscience des décisions et actes indispensables afin que l’eau demeure une source de vie et un levier de développement socioéconomique et durable tout en veillant à la préserver et la protéger tant qualitativement que quantitativement. Il a été clairement dit que ce thème est une adaptation de la principale promesse du Programme de développement durable à l’horizon 2030 à savoir que tout le monde doit pouvoir bénéficier des progrès accomplis en matière de développement durable.

Quelle est aujourd’hui la situation de l’implication des communautés dans la gestion des questions de l’eau et de l’assainissement en Afrique ?

On rencontre de sérieuses difficultés qui entravent la bonne implication des communautés dans la gestion de l’eau et l’assainissement comme il le faut. Dans beaucoup de cas, il y a une surcharge chronique des systèmes d’approvisionnement en eau, soumis à un stress croissant du fait de la croissance rapide et anarchique des zones urbaines. On relève également une certaine faiblesse de la gouvernance des Etats, les problèmes d’intégrité avec la corruption, la faiblesse des investissements à long terme, le manque d’infrastructures appropriées et des insuffisances dans les systèmes de maintenance et de gestion des ouvrages déjà mis en place.

Ce qui est encourageant est que nous constatons que des efforts sont davantage déployés pour une plus grande implication des jeunes et des femmes dans les questions de gestion de l’eau. Ces efforts ont besoin d’être poursuivis et renforcés. La décentralisation dans les pays aussi donne normalement plus opportunité pour l’implication des communautés au niveau local. Malheureusement, dans certains pays les compétences de gestion de l’eau ne font pas partie de celles transférées aux collectivités territoriales.

Y-t-il des pays modèles en la matière dont les autres Etats peuvent s’en inspirer ?

En la matière, on ne peut pas dire qu’il y ait un ou des modèles systématiques à suivre. Certains pays font de bonnes performances dans plusieurs domaines, d’autres dans d’autres domaines tenant compte des contextes spécifiques de chaque pays et selon la zone climatique. Le plus important est d’encourager tous les pays africains qui connaissent pour la plupart un retard certain à renforcer les actions pour un accès du plus grand nombre possible de leur population à l’eau potable et à l’assainissement.

Quel rôle joue ou va jouer le GWP/AO dans les préparatifs et l’organisation du 9e Forum mondial de l’eau qui devrait se tenir cette année 2021 à Dakar mais reporté en 2022 du fait de la Covid-19 ?

Ce Forum est un grand évènement pour notre sous-région de l’Afrique de l’Ouest. GWP en tant que Réseau collabore avec le Secrétariat Exécutif en charge de la préparation du Forum de Dakar de mars 2022 du niveau national au niveau mondial en passant le niveau sous-régional avec le GWP-AO. En septembre 2019, GWP-AO a tenu son Assemblée Générale des partenaires et a organisé à l’occasion un dialogue régional en collaboration avec la CEDEAO et l’UEMOA auquel le Secrétariat Exécutif du Forum a été invité à y prendre part et échangé avec les acteurs régionaux rassemblés au sein du GWP-AO.

Le Partenariat National de l’Eau du Sénégal (PNES) participe également activement aux travaux de plusieurs groupes d’actions mis en place dans le cadre de la préparation du Forum.

Nous travaillons depuis 2020 avec plusieurs organisations régionales dont le Centre de Gestion des Ressources en Eau de la Commission de la CEDEAO, le Département en charge de l’Agriculture des Ressources en Eau et de l’Environnement (DAREN) de l ’UEMOA, l’Autorité du Bassin de la Volta, l’UICN-PACO, le CILSS, entre autres à mettre en place un cadre pour impulser la contribution à la préparation et la participation des acteurs de l’Afrique de l’Ouest au Forum.

Qu’est-ce que l’organisation d’un tel Forum peut-elle apporter à l’Afrique ?

Comme tous les foras de ce genre cela permet d’attirer l’attention des décideurs mondiaux sur les principales préoccupations et rappeler les engagements en vue d’assurer la sécurité en eau pour tout le continent. Réussir une bonne organisation de cet évènement démontrerait les capacités de notre sous-région de l’Afrique de l’Ouest et encore une fois de l’Afrique à abriter ce genre de Forum mondial. Cela permet également aux acteurs de l’Afrique de mieux mettre en avant aussi bien les défis que les bonnes pratiques spécifiques au continent et de se faire entendre collectivement du reste du monde.

Entretien réalisé par Philippe Martin

Burkina Demain

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