Dans leur entreprise machiavélique, les terroristes s’en prennent aux pauvres populations qui vident les communes et villages et viennent grossir considérablement les rangs des personnes déplacées internes. Dablo, Mangodara, Gassan, Toeni pour ne citer que ces communes sont de malheureux exemples en la matière. La liste peut être allongée à souhait. Face à une telle réalité, l’heure n’est plus ni aux discours ni aux jérémiades.
Il faut agir impérativement et efficacement pour la reconquête des zones partiellement ou totalement sous emprise terroriste. C’est ainsi que le concept « guerre au sein des populations » trouve un de ses champs d’expérimentation.
Dans le contexte sécuritaire actuel, de nombreuses zones sont relativement en train d’être perdues non parce que l’ennemi les ont conquises, mais parce que les populations se détournent progressivement de l’administration, des FDS et sont tentées de collaborer avec les terroristes pour, se convainquent-elles, « avoir la paix ». Dans son discours à l’occasion du 11 décembre, le Président du Faso a établi un diagnostic on ne peut plus clair : « L’histoire de notre Peuple a ouvert des plaies, ce qui explique sans doute aujourd’hui l’attitude équivoque de certaines personnes face au terrorisme(…)».
Puis de renchérir : « Le terrorisme au Burkina Faso est alimenté et entretenu par la haine née de notre histoire politique récente ». La plaie est très infectée. Une action urgente et réfléchie devient une nécessité pour éviter la métastase. La « guerre industrielle », épreuve de force décisive entre deux États et destinée à imposer sa volonté à l’adversaire, appartient au passé. Une nouvelle forme de guerre l’a supplantée, la « guerre au sein des populations », et dans laquelle les civils occupent une place centrale. Désormais les armées ne s’affrontent plus en champ clos. Il n’y a plus nécessairement d’armées, et, de toute façon, jamais des deux côtés.
La guerre au sein des populations est une réalité dans laquelle la population, quelle qu’elle soit et où qu’elle vive, est devenue le champ de bataille. Les engagements militaires se déroulent désormais n’importe où : en présence de civils, contre des civils, pour défendre des civils. La doctrine d’emploi des FDS et des VDP doit tenir compte de cette réalité et de cette complexité.
Le terrorisme tel qu’il se pratique actuellement au Burkina Faso montre les limites de la supériorité opérationnelle reposant sur les seuls moyens technologiques. Le nouveau contexte stratégique implique, pour les forces armées, de repenser leurs modes d’action. L’efficacité militaire repose sur un usage modéré de la force et la prise en compte de la population. La bataille qui, jusqu’à une époque récente, pouvait conduire directement au succès politique, n’est plus ni suffisante, ni le signe de la victoire ou de l’échec final pour les protagonistes.
Gagner la bataille est considéré comme un « objectif intermédiaire », qui permet d’entamer la phase de stabilisation. Certes, lors de la phase d’intervention, remporter le combat est indispensable, mais l’objectif stratégique, « conduire la paix », résulte du succès ou non de la phase de stabilisation. Dit autrement, la stabilisation est la « phase décisive » du conflit et, par conséquent, la victoire stratégique ne dépend plus de la seule victoire tactique, celle qui permet de forcer l’ennemi à déposer les armes. Il ne s’agit plus de gagner le combat pour emporter un gain, mais de transformer l’autre dans une période entre la guerre et la paix.
Il s’agit de doser la violence afin de limiter les « dommages collatéraux » susceptibles de délégitimer l’action et la présence des FDS auprès des la populations, mais également de préparer l’après combat en préservant des installations civiles. La stabilisation se construit dès l’intervention, c’est un continuum. L’action militaire n’est en cela pas très éloignée de la diplomatie coercitive, qui consiste en une menace ou un emploi volontairement limité et graduel de la puissance militaire pour persuader un adversaire de mettre un terme à son action. Mais elle est aussi un moyen de « conquérir les cœurs et les esprits ».
La « guerre au sein des populations » nécessite un entraînement et une organisation spécifique nécessitant un accroissement des moyens affectés au recueil du renseignement. L’action politique, dans toutes ses dimensions (économique, sociale, diplomatique, etc.) est aussi importante que l’action militaire.
L’une sans l’autre aboutit à l’échec. C’est aux politiques de préparer les guerres de demain, de décider du moment où employer la force armée, de donner à l’outil militaire des buts politico-stratégiques pertinents et des moyens adaptés pour vaincre.
Jérémie Yisso BATIONO
Enseignant chercheur
Ouagadougou