L'homme de culture Lassina Yé Coulibaly exhorte à une prise en compte du volet culture dans cette crise du Covid-19

Alors que la courbe à la contamination au Covid-19 semble est repartie à la hausse un partout ; l’homme de culture burkinabè et africain que l’on ne présente plus, Yé Lassina Coulibaly, insiste, comme il n’a jamais cessé de le souligner depuis l’apparition de cette pandémie, sur la nécessité de prendre en compte le volet culturel dans la riposte. «Ce serait une erreur d’en négliger l’impact psychosociologique et l’importance d’une réponse  culturelle», soutient-il dans cette tribune dont nous proposons l’intégralité.

L’homme de culture Lassina Yé Coulibaly exhorte à une prise en compte du volet culture dans cette crise du Covid-19

«Dans cette période de pandémie, l’art et la culture me semblent oubliés, et pourtant les artistes sont des acteurs dignes de l’intérêt des citoyens car ils portent l’identité culturelle hors des frontières.

Certes, la crise déclenchée par cette pandémie du Covid 19 est mondiale et l’on peut comprendre que l’urgence de réponses en termes de protection des humains ait reposé prioritairement sur des mesures sanitaires et économiques, mais ce serait une erreur d’en négliger l’impact psychosociologique et l’importance d’une réponse culturelle.

Informations contradictoires au début de la crise

Au début de l’évolution de cette crise, les médias nous ont inondés d’informations plus ou moins anxiogènes et parfois contradictoires compte-tenu de la brutalité de la survenue de la pandémie et du flou qui a suivi en matière de choix stratégiques pour la combattre…

On a beaucoup entendu parler de la course des grandes puissances pour trouver le meilleur vaccin, des enjeux économiques entre laboratoires de recherche et producteurs de vaccins concernant les brevets de fabrication, les droits…

On n’entendait que ça. Les peuples ont été pris en otage de cette dynamique entre la peur de la maladie et l’espoir du bon remède. C’était tellement pesant qu’on attendait que l’Etat nous rassure avec le bon vaccin, les bons masques, ça n’a pas été facile…  Tout le monde était suspendu aux déclarations gouvernementales…

Maintenant c’est le sujet controversé des vaccins et du pass sanitaire qui fait polémique. Personnellement, je pense qu’en dépit des incertitudes, et pour le bien de tous, il ne faut pas que les gens se braquent, car le risque de mourir de la Covid 19 est plus important que celui de mourir du vaccin. Respecter les règles sanitaires, c’est être collectivement responsables.

«Rupture entre les lieux de spectacle et les artistes»

Les  confinements successifs et la limitation des contacts sociaux ont signé la rupture entre les lieux de spectacle et les artistes. Tous les lieux de diffusion ont été touchés : salles de concert, de cinéma, théâtres, opéra, cabarets, clubs, festivals…

Les acteurs culturels sont devenus impuissants, aucune programmation n’a été possible pendant des mois… Beaucoup d’artistes se sont rabattus sur le télétravail ce qui a permis à certains de s’adapter mais pour ceux qui sont dans la musique vivante c’est un désastre. Le coût est très, très élevé, y compris moralement.

Toute la réflexion d’écriture, le travail de recherche, de répétition, l’expérimentation, la création, même s’ils sont théoriquement réalisables, sont appauvris car privés de la vibration des rencontres, des inter- actions entre artistes et public. Or, l’art vivant se nourrit du contact…

Le monde entier a subi et vécu au rythme des règles sanitaires, ce qui est tout à fait normal, mais il faut donner de l’espoir, soutenir les efforts de solidarité et de fraternité, et là, l’art et les artistes ont toute leur place afin que cette pandémie ne soit pas synonyme de rupture avec l’extérieur, voire d’enfermement psychique.

Importance du numérique dans l’éveil et l’éducation à la culture

Depuis le début de la crise sanitaire, les acteurs politiques, économiques, culturels, la famille et les amis négligent l’importance du numérique dans l’éveil et l’éducation à la culture alors que c’est possible aujourd’hui de s’appuyer sur cette technologie et que c’est une des possibilités de garder la tête hors de l’eau, en tout cas pour ceux qui disposent de matériel et de studios de travail. D’ailleurs, des plates-formes de téléchargement de musiques et de films existent.

La grande question du statut économique des artistes est aussi passée sous silence.  Prendre en compte l’être humain au-delà de l’artiste, même en dehors de son pays, serait une marque de reconnaissance de notre rôle et de notre engagement culturel et social dans la société.  Se servir des artistes à l’intérieur du pays ou en dehors, c’est normal mais il ne faut pas les oublier une fois leur talent utilisé…  Ceux qui n’entrent pas dans le cahier des charges de la coopération culturelle et ne bénéficient pas de l’influence des réseaux politiques souffrent beaucoup.

C’est vrai que nombre d’autres secteurs d’activités sont sinistrés, mais pour les artistes c’était déjà difficile avant la pandémie… C’est pire aujourd’hui, c’est le moment où tous les artistes ont besoin du soutien inconditionnel des amis, de la famille, de l’Etat, afin qu’ils ne soient pas enclavés dans une souffrance terrible.

L’emploi on n’en parle pas assez, il faudrait développer, avec des professionnels formés, une pédagogie pour accompagner les artistes, comme les autres travailleurs, afin de les aider à s’adapter, à imaginer, à trouver des solutions ou des alternatives…

La limitation de la libre circulation, notamment concernant les voyages internationaux, et les règles sanitaires ont freiné l’expression culturelle, on n’a pas assez pensé à l’art populaire et  à le protéger.

A ce jour, avec la pandémie, beaucoup d’artistes n’ont pas pu mener à bien leur projet artistique. Le répertoire le plus frappé c’est la musique traditionnelle, les variétés internationales s’en sortent mieux…

Les infrastructures culturelles, qui manquent souvent de moyens, ne sont pas suffisamment à l’écoute des artistes. Toutes les conditions ne sont pas réunies pour remettre des programmations sur les rails car beaucoup d’incertitudes subsistent. Cette absence de perspectives à moyen et long terme pénalise les professionnels de l’art.

La culture, on l’oublie et les artistes aussi qu’ils soient professionnels ou amateurs.

En cette période de fin d’année, je voudrais dire à mes concitoyens :  comme nous pensez à achetez le champagne, le foie gras, les chocolats, pensez à la culture et à ceux qui la portent, les artistes!

Car il ne faut pas sous-estimer l’impact de ces fêtes et de l’incitation à la consommation sur ceux qui connaissent des difficultés économiques, ainsi que la frustration que cela engendre…

Il faut penser à la sensibilité des enfants confrontés à la détresse de leurs parents dont ils perçoivent parfaitement les préoccupations matérielles et morales. Pour grandir, ils ont besoin du soutien de leurs parents; or, ils comprennent que l’avenir va être difficile pour eux… C’est un traumatisme et de mauvais augure pour la société future…

Un soutien financier des institutions est nécessaire. Il y a des artistes qui ont des vies de famille, qui avaient des projets en cours et du jour au lendemain, tout s’est arrêté. Pourtant, ils ont besoin de faire vivre décemment leur famille.

Trouver un moyen de venir en aide aux acteurs du secteur sinistré de la culture

Le rôle de l’Etat c’est de rassurer, soutenir, donner des perspectives d’avenir, surtout que cela risque d’être long… Il est urgent que les acteurs économiques et politiques trouvent le moyen de soutenir activement les artistes afin qu’ils continuent à vivre dignement de leur travail et de leur art.

Contrairement aux fonctionnaires et aux retraités qui continuent de percevoir leur salaire ou leur pension, les artistes se retrouvent dans une situation précaire, surtout en Afrique où il n’existe pas, ou peu, de fonds de solidarité, où les artistes professionnels africains ne peuvent plus se déplacer hors des frontières. Heureusement, la solidarité traditionnelle reste une valeur très forte en Afrique et permet de ne pas sombrer.

Il est urgent que les responsables politiques et économiques trouvent un moyen de venir en aide aux acteurs de ce secteur sinistré de la culture qui doivent rester présents auprès de leurs concitoyens. C’est particulièrement le cas en Afrique où l’art populaire a une grande importance, que ce soit sur les places publiques ou dans les évènements familiaux.

Ce qui est sûr, c’est que certains pays ont pris en compte les difficultés de leurs artistes et la nécessité de les accompagner au niveau financier, en ce moment difficile, afin qu’ils assument leurs charges quotidiennes très lourdes pour certains.

Mais ce soutien s’adresse surtout aux artistes reconnus et que deviennent ceux qui ont du talent sans avoir acquis de notoriété? Pour les artistes handicapés ou âgés, c’est encore pire… Force est de constater que le secteur de la production culturelle suit majoritairement les artistes renommés; les autres restent sur le carreau!

«Tout le monde écoute de la musique »

C’est dans la difficulté que l’on voit les vrais acteurs économiques et politiques, ceux qui soutiennent la culture parce qu’ils en connaissent l’impact sur les hommes et la société.

Dans cette souffrance je pense à mes collègues musiciens, conteurs, mais aussi cinéastes, réalisateurs, comédiens, danseurs, chanteurs, plasticiens, luthiers, techniciens… et ça me fait de la peine qu’il n’y ait pas beaucoup de solidarité à notre égard, alors que l’art et la culture sont le cœur des gens et le poumon de leur vie.

Tout le monde écoute de la musique, tous les styles de musique; ce serait bien, au-delà de cette écoute, que l’artiste soit pris en considération, que l’on aille à sa rencontre. Ce n’est pas qu’une question d’argent, ce serait un signe de reconnaissance de notre rôle qui redonnerait de l’espoir en l’avenir.

«Beaucoup de personnes sensibles à la culture»

On a et on aura besoin les uns des autres pour vivre ensemble de manière harmonieuse, c’est pourquoi la solidarité envers les artistes est importante. L’Etat ne peut pas tout faire, il faut que les citoyens soient conscients de l’importance de la culture et de la valeur de gestes d’entraide, qu’il s’agisse de collectes, de commandes de prestations à l’avance pour des évènements ou de demandes de conseils pour des occasions spécifiques. Mieux vaut des petites choses que rien…

Il y a beaucoup de personnes sensibles à la culture, riches de cœur et conscientes des réalités, on leur fait confiance mais il faut une mobilisation de tous : amis et familles des artistes, mélomanes, fans, tous les humains qui savent l’importance des arts et de la culture, afin de soutenir massivement les artistes et que l’art reste le ferment de notre société.

En période de crise où l’humanité est plongée dans l’incertitude, il est vital de réveiller la sensibilité des humains et de susciter l’amour des arts.

Car la vie continue au-delà de la crise sanitaire qui frappe tous les secteurs. Le monde est fatigué on en a ras le bol de la peur et de l’absence de perspectives.

«On a besoin de tous les arts»

Pour l’accompagnement de la vie, on a besoin de tous les arts, particulièrement la musique qui apaise les tensions entre les humains et détourne l’attention des gens du matraquage et de l’intoxication des médias.

Le privé ne s’investit pas suffisamment dans la culture car il y a négation de l’importance de celle-ci dans le développement économique

Il ne faut pas oublier que les civilisations, en général, s’appuyaient sur l’art et la culture pour l’éducation et la transmission des valeurs humaines et cela, il ne faut pas l’abandonner car nous avons tous besoin de retrouver une vie familiale et sociale riche et sécurisante.

Toutes les disciplines artistiques sont concernées et susceptibles de donner du plaisir aux gens. Il faut que l’art soit partout, dans les écoles, sur les places publiques et que les artistes se nourrissent en retour d’inter- actions enrichissantes porteuses de nouvelles dynamiques.

Hôpitaux, maisons de retraite

Les responsables locaux devraient se soucier du bien-être de leurs concitoyens en rapprochant la culture de ceux qui en sont éloignés ou vulnérables… Des conteurs, comédiens, clowns, musiciens professionnels pourraient se rendre dans les cours, les hôpitaux, les maisons de retraite, afin de rompre l’enfermement, de soulager la douleur et rendre le sourire à ceux qui souffrent…

La mise à disposition de lieux de lecture publique et le développement de l’art plastique dans les jardins, sur les murs des villes et villages seraient aussi de nature à rendre la vie plus humaine et plus belle.

Il ne faut pas abandonner la culture, le spectacle vivant c’est un langage universel et c’est aussi la santé.

On dépend les uns des autres. Ce qui m’attriste c’est que les artistes sont toujours obligés de rappeler qu’ils sont là et que l’art est important alors que la société devrait avoir conscience qu’il faut aller vers eux comme on va chercher un médicament. Je ne devrais même pas avoir à écrire ces choses évidentes…

Besoin de stabilité économique

Pour survivre, les artistes ont besoin d’une stabilité économique que seuls les acteurs économiques privés et les associations à vocation culturelle peuvent leur apporter avec l’aide de l’Etat.

Tant d’initiatives relèvent d’une mission d’intérêt général dans un quartier et pourraient recevoir le soutien de l’Etat, dès lors que les structures porteuses de projet sont dynamiques et crédibles !

Beaucoup de structures fonctionnent sur ce mode, c’est une question de volonté, d’engagement et de prise de risque…

Il est réconfortant de voir que de formidables actions en direction des enfants et de la jeunesse peuvent voir le jour, tel que l’Orchestre à l’école ou celle du Cirque du soleil en Ethiopie… Il s’agit d’actions humanitaires intelligentes et respectueuses de la dignité des gens.

«L’art ne peut pas se développer sans moyens» 

On ne peut pas vivre sans l’art, l’art ne peut pas se développer sans moyens, on peut tenter de l’ignorer mais la flamme ne doit pas s’éteindre car l’art est au cœur de la vie ;

C’est le vecteur d’émotions partagées par l’humanité entière et de la transmission de valeurs universelles de fraternité.

L’individualisme n’a jamais soigné la société. C’est dans le rassemblement et l’estime des autres que l’on peut honorer l’héritage moral et culturel de nos parents et grand- parents et donner espoir à la jeunesse.

Je pense au patrimoine musical et culturel dont il faut que la mémoire reste vivante pour nos enfants et pour la jeunesse. Il faut pour cela que l’on reste mobilisés massivement pour soutenir la famille des artistes. Ce serait la moindre des solidarités…

Je fais partie de cette famille.

Si j’ai cette sensibilité je le dois à mes grands-parents et mes parents, Yé et Sékou Coulibaly, tous femmes et hommes de coeur…

Par Yé Lassina Coulibaly»

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