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Ceci est une Déclaration commune des OSC-Organisations de la société civile- sur les   violations récurrentes des droits numériques au Burkina Faso.

‘’ DÉCLARATION COMMUNE DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE

LES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE DEPLORENT ET DENONCENT LA RECURRENCE DES VIOLATIONS DES DROITS NUMERIQUES AU BURKINA FASO

Depuis quelques temps, nous constatons avec grande déception que le Burkina Faso s’est inscrit malheureusement dans la liste des pays qui font de la violation des droits numériques, un moyen d’interdire les contestations, parfois légitimes, des populations.

En effet, du 20 au 28 novembre 2021 soit pendant 192 heures, les populations vivant au Burkina Faso ont subi une coupure de l’accès à l’internet mobile sans information préalable du public. Cette suspension fut par la suite revendiquée par le gouvernement à travers un communiqué du Ministre en charge de la communication et porte-parole du gouvernement, le 22 novembre 2021 soit 72 heures après l’interruption de l’internet mobile. Dans ledit communiqué, le gouvernement a soutenu que cette mesure était fondée sur les articles 44 à 46 de la loi N°061-2008 du 27 novembre 2008 portant réglementation générale des réseaux et services de communications électroniques au Burkina Faso. Toutefois, cette justification demeure contestable car ces dispositions sont relatives aux opérateurs de réseaux de télécommunications et donc sans pertinence évidente pour les consommateurs.

Depuis le lundi 10 janvier 2022, nous avons encore constaté des restrictions à l’accès à certaines plateformes via l’internet mobile. Il s’agit essentiellement de WhatsApp et de Facebook. Si WhatsApp est désormais accessible, l’accès à Facebook demeure difficile sans que ni le gouvernement, ni les opérateurs de téléphonie, ni l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ne daignent donner des explications sur les motivations de telles restrictions.

Cette récurrence dans la suspension inopinée de l’internet mobile porte indéniablement atteinte aux droits des populations à l’information, à la liberté d’expression, voire aux libertés d’association et de manifestation, droits pourtant garantis par notre constitution et par les instruments internationaux et régionaux ratifiés par le Burkina Faso.

Il convient de rappeler au gouvernement que dans une résolution adoptée en 2016 portant sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet (A/HRC/32/L.20), le Conseil des droits de l’homme des Nations unies affirme que : « Les mêmes droits dont les personnes disposent hors ligne doivent être aussi protégés en ligne, en particulier la liberté d’expression, qui est applicable indépendamment des frontières et quel que soit le média que l’on choisisse, conformément aux articles 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Ainsi donc, le droit d’accès à internet est un droit de l’homme et mérite d’être respecté. Sur le fondement du principe de l’interdépendance des droits, nous rappelons que porter atteinte à l’accès à internet impacte aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques sociaux et culturels dans un contexte de forte tension et de crise. En effet, ces restrictions ont un impact négatif et représentent également un manque à gagner indéniable pour les acteurs de l’économie numérique du secteur privé, du secteur informel et du secteur public alors que ces entreprises numériques doivent continuer à :

–              Payer leur personnel ;

–              Payer les impôts ;

–              Gérer les charges fixes de leurs entreprises.

La viabilité de ces entreprises est menacée et les conséquences impacteront évidemment l’employabilité des jeunes et des femmes.

Bon nombre des activités de ces entreprises du secteur numérique n’existent en effet que par le canal des médias sociaux, et derrière ces activités commerciales, existe parfois toute une chaine d’approvisionnement et de transformation de produits locaux organisée par des petits producteurs notamment des femmes et des jeunes dont les activités peuvent parfois manquer de visibilité.

Loin de faire baisser la tension sociale, de telles restrictions pourraient créer le lit d’une explosion sociale et favoriser une expression violente du rejet de toute oppression.

Investies dans le monitoring des atteintes à l’espace démocratique, notamment de l’information en ligne et le signalement des discours de haine, nos organisations reconnaissent que nombre de personnes font des réseaux sociaux un usage non éthique et inapproprié avec la diffusion de fausses nouvelles, de messages qui s’apparentent à la haine et de contenus susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.  Toutefois, nous rappelons au gouvernement que l’action de quelques individus ne sauraient constituer un motif pour restreindre l’accès de tous à l’internet mobile ou aux plateformes numériques. Conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les restrictions des droits humains doivent respecter certaines exigences minimales et suivre une procédure particulière. En effet l’Article 4 dudit Pacte prescrit que : « 1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale.

2 La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18.

3 Les Etats parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, signaler aussitôt aux autres Etats parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation. Une nouvelle communication sera faite par la même entremise, à la date à laquelle ils ont mis fin à ces dérogations. »

Il en découle que les restrictions aux droits humains liés à internet devraient cumulativement :

-poursuivre un objectif ou un but légitime ;

-être expressément fixées par une loi ;

-être nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui, à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ;

-être proportionnées dans une société démocratique ;

-être conformes aux normes internationales en matière de droits humains.

Au regard de la situation et le manque d’informations précises sur les motifs des restrictions en vigueur, nous avons des raisons objectives de croire que ces restrictions au droit d’accès à internet passées et celles en vigueur sont abusives et constitutives de violation des droits des populations auxquelles le gouvernement doit mettre un terme.

Dans l’optique de la sauvegarde des droits numériques, nous recommandons :

Au gouvernement de :

1 rétablir immédiatement l’accès total à internet pour toutes et tous sans aucune restriction et assurer la protection de l’expression des libertés sur internet ;

2 respecter les principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité en cas de restrictions et de s’abstenir de toute restriction ultérieure injustifiée aux droits numériques des populations ;

3 renforcer la collaboration avec les plateformes sociales (Facebook, WhatsApp, Instagram, Messenger, Signal, Telegram, etc.) pour une prise en charge rapide des contenus véritablement nuisibles et dangereux ;

4 engager immédiatement une vaste campagne d’éducation à l’utilisation éthique et responsable de l’internet et en particulier des réseaux sociaux ;

5 réviser les curricula scolaires afin d’y rajouter un module sur le comportement responsable sur Internet.

Aux plateformes sociales numériques de :

1 mener ou soutenir des campagnes de sensibilisation et d’éducation aux comportements responsables sur leurs plateformes ;

2 améliorer la détection et la prise en charge rapide des contenus véritablement nuisibles sur leurs plateformes, notamment les discours de haine, les fausses nouvelles et les contenus susceptibles de porter gravement atteinte à la sécurité et à la défense nationale ;

3 mettre en place des mécanismes de détection proactive des images utilisées hors contexte ;

4 mettre en place des équipes qui comprennent les langues locales pour une prise en charge adéquate des contenus indésirables ou nuisibles diffusés en langues nationales ;

5 réduire sensiblement le temps d’attente pour la prise en charge des contenus nuisibles après signalement ;

6 collaborer avec la société civile pour la conduite d’actions de sensibilisation sur l’utilisation éthique et responsable des réseaux sociaux, et sur le monitoring et le signalement des contenus nuisibles ;

7 développer des collaborations avec les vérificateurs de faits locaux ; cela doit comprendre l’organisation à leur profit de sessions de renforcement de capacités, etc.

Aux organisations de la société civile et aux populations de :

1 renforcer les campagnes d’éducation aux médias sociaux, notamment l’information et la sensibilisation sur l’utilisation éthique et responsable des réseaux sociaux, et sur le monitoring et le signalement des contenus nuisibles ;

2 s’investir dans la régulation des usages inappropriés de l’internet et des réseaux sociaux par le signalement des contenus nuisibles aux plateformes en vue d’une prise en charge adéquate ;

3 développer la collaboration avec les plateformes sociales et les institutions publiques afin de mener la sensibilisation et la lutte contre les fausses nouvelles et les contenus nuisibles ;

4 s’abstenir de transférer des informations qui ne sont pas de sources fiables et de ne pas se rendre complices de toute atteinte à la sécurité et à la défense nationale.

Fait à Ouagadougou le 20 janvier 2022

Ont signé :

1 Centre d’Information et de Formation en matière de Droits Humains en Afrique (CIFDHA) ;

2 Mys’tic Burkina

3 Centre pour la Qualité du Droit et la Justice (CQDJ)

4 Association des Blogueurs du Burkina (ABB)

5 Mouvement Burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP)

6 Internet sans frontières (ISF) Afrique

7 Centre pour la gouvernance démocratique (CGD)

6 Centre d’information et de documentation citoyennes (CIDOC)

7 Amnesty International Burkina Faso (AIBF)

8 Open Burkina

9 Association Semfilms

10 Association des éditeurs de presse et médias en ligne (AEPML)

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