L'artiste burkinabè vivant en France,Yé Lassina Coulibaly se souvient de tout ce qui a marqué son enfance en Afrique

Les premières paroles des ancêtres m’ont été données par mes parents, mes grands-parents, mes arrières grands- parents qui ont su transmettre ces valeurs ancestrales que j’incarne aujourd’hui.

L’artiste burkinabè vivant en France,Yé Lassina Coulibaly se souvient de tout ce qui a marqué son enfance en Afrique

 La sensation de la vie, la joie, le plaisir, l’amour et l’éducation, mes frères et soeurs, mes cousins, cousines et moi-même, les avons reçus dans la cour familiale où, à l’ombre des arbres fruitiers, se côtoyaient jour et nuit les animaux, la famille, les voisins, les passants qui s’arrêtaient pour demander de l’eau, à manger ou dormir, ou toute autre chose…

La porte était toujours ouverte. La cour, qui bruissait du chant des oiseaux, était en perpétuelle animation et interactions. La communication et les bonnes relations avec le voisinage étaient essentielles à l’harmonie du quartier.

Cité d’or » parce qu’on y trouvait des trésors de connaissances et d’humanité

J’ai le souvenir du partage, que ce soit des fruits ou des plats cuisinés : outre la part de la famille on réservait toujours, dans la cuisine, celle de ceux qui passaient et de ceux qui étaient morts, il y avait aussi la part des chiens et des chats.

La sollicitude envers les personnes âgées de la famille allait de soi, leur accompagnement faisait partie de notre quotidien : nous prenions soin d’elles pour tout, on était à l’écoute de leurs besoins pour les aider à la toilette, à s’habiller ou s’alimenter, et les soigner.

Elles étaient écoutées pour leur sagesse, leur connaissance du passé de la famille éloignée, et maitrisaient l’usage des plantes et des aliments qui soignent… Elles tenaient à se rendre utiles, notamment en s’occupant des enfants pendant l’absence des parents.  Chacun avait sa place et des droits bien définis, des jeunes enfants aux personnes âgées. Grâce à mes parents, Yée et Sékou Coulibaly, j’ai connu jusqu’à trois à quatre générations vivant sous le même toit. Ce qui était formidable, c’était leur humour, la plaisanterie, les contes, les devinettes, les chants, mais aussi les caresses qu’elles nous prodiguaient.

On appelait cette cohabitation « la Cité d’or » parce qu’on y trouvait des trésors de connaissances et d’humanité et qu’il s’y  passait plein de choses… Lorsque l’on vit ensemble et que l’on partage les mêmes valeurs, « on éduque la rue et la place publique, ensemble », on apprend à faire des compromis, à respecter la contribution de chacun et à veiller sur la richesse qui nourrit tout le monde.

Evènements de la vie, rythme des saisons

Les événements de la vie, le rythme des saisons, nous enseignaient que la source vitale c’est la Nature. Les anciens avaient une très grande connaissance de ses cycles, étaient à l’écoute du cosmos et savaient lire dans les astres, ils faisaient de la science appliquée… Nous, les enfants, écoutions avec intérêt et admiration.

Malgré leur dur labeur et leurs occupations journalières, les adultes se réunissaient après le repas du soir pour partager les récits des épopées des empires mandingues et africains, des proverbes, des fables, de la poésie, mais aussi le souvenir des ancêtres des grandes familles. Ils échangeaient aussi sur l’organisation du travail, la manière de s’y prendre, par exemple pour laisser se reposer la terre en alternant friche et culture… Nous étions émerveillés et fascinés par tant de connaissances, et ce temps de partage amenait la paix avant le sommeil.

L’intelligence et l’inventivité des détenteurs d’un savoir mystique

Me revient aussi en mémoire l’image de personnages que l’on admirait autant qu’on les craignait… Ils avaient la capacité de lire en nous et de « faire tomber le masque ».

J’étais également très impressionné par l’intelligence et l’inventivité des personnalités qui détenaient un savoir teinté de mystère et dont le quotidien des villageois dépendait : ceux qui étaient capables d’évaluer les propriétés et les qualités de la terre, ceux qui savaient bâtir les maisons traditionnelles en fonction des caractéristiques régionales, ceux qui connaissaient la foudre et pouvaient faire la lecture de l’éclipse, les sourciers, les magnétiseurs, les rebouteux, etc. Il s’agissait souvent de chefs coutumiers ou de notables dont la fonction entre-autres, était d’expliquer afin d’apaiser les craintes et de rassurer.

L’ingéniosité des habitants du village pour sauvegarder les usages et contribuer à l’organisation commune m’intéressait aussi beaucoup : les calligraphies de signes sur les murs des maisons, les tissus traditionnels et les objets rituels pour souligner les évènements et en garder la mémoire, la codification des activités artistiques et les techniques de maquillages, la richesse des costumes, les matériels symboliques utilisés à l’occasion des fiançailles, des mariages et des naissances…

La solidarité était au service de tout le monde

J’ai passé des heures à regarder travailler les artisans et j’étais émerveillé par leur savoir-faire et leur sens artistique… Que ce soit les tisserands, les potiers, les forgerons, les teinturières, les bronziers, tout l’artisanat traditionnel.

Le savoir partagé, la solidarité étaient au service de tout le monde, on avait le souci de s’accompagner les uns les autres. Bien sûr, on ne peut pas généraliser, cela dépendait des familles, toutes ne possédaient pas le même potentiel de bienveillance, ne partageaient pas les mêmes valeurs.

C’est fondamental pour l’équilibre d’une famille que le père et la mère reprennent le flambeau des valeurs ancestrales. Notre dignité et notre richesse sont basées sur l’humain bien qu’il n’y ait nulle part de peuple parfait.

Dans chaque crise, il y a un mouvement qui peut transformer « le volcan négatif en volcan positif ».  Ce qui permet de surmonter les crises, c’est la mobilisation de la grande famille et celle du voisinage. C’est toute une organisation et « ça ne se chante pas sur les toits ».

Une organisation ancestrale derrière chaque nom de famille

Derrière chaque nom de famille, il y a une organisation ancestrale. La notion d’être seul quand tu portes un nom n’existe pas en Afrique, le patronyme c’est un passeport international, la certitude qu’un autre qui porte le même nom te tende la main.

Même pour les parcelles de terrains, comme d’autres outils de travail, on ne les vend pas mais on peut les prêter pour rendre service. Dans la société ancestrale, de même que la pratique du troc, c’est un symbole de survie qui préserve la dignité de celui qui est en difficulté et grandit celui qui lui vient en aide. En outre, c’est un moyen de prendre soin du patrimoine et ça enseigne la fierté aux enfants. Hélas, j’ai connu aussi le sentiment d’injustice que ressentait le paysan lorsque, après avoir défriché et enrichi le terrain qui lui avait été prêté, il se le voyait enlevé par un propriétaire indélicat, au moment où il aurait pu recueillir le fruit de son travail.

Moi, j’étais fier de mes parents, notamment parce qu’ils étaient à l’écoute du monde et partageaient l’actualité avec nous. D’ailleurs, c’est par mon père que j’ai appris que l’Afrique était le berceau de l’humanité avec la découverte de Lucy, en 1974, en Ethiopie, puis par ma mère celle de Toumaï, en 2001, au Tchad.

Ces valeurs qui ont forgé ma personnalité, une société où rien n’était dramatisé

Nous ne connaissions pas la pauvreté. J’étais élevé dans ce monde du travail, de l’humour, de la joie… Nos parents surmontaient les difficultés malgré leurs caractères différents, discutaient beaucoup ensemble, ne se plaignaient jamais, rien n’était dramatisé. Ils nous ont transmis les valeurs qui ont forgé ma personnalité et me nourrissent encore tous les jours : la solidarité, la fraternité, le respect des aînés, l’écoute, l’ouverture aux autres, la curiosité, en un seul mot, la Culture…

On oublie souvent ces valeurs ancestrales. J’ai à coeur de les transmettre, comme je peux, parce qu’il ne faut pas que l’on perde ces valeurs de l’humain.  C’est vraiment le socle de notre civilisation, s’il est fragilisé c’est la porte ouverte aux problèmes, aux désastres, toutes générations confondues. On ne va pas inverser le cours des choses mais au moins sensibiliser aux valeurs qui fondent notre société.

Distinguer valeurs et coutumes

Il faut cependant rester lucides. Par manque d’éducation, il y en a qui utilisent les valeurs ancestrales pour profiter de la dignité des autres, notamment lors des cérémonies. De même, il y a lieu de distinguer valeurs et coutumes, parmi ces dernières, certaines ne sont pas bonnes à perpétuer, notamment celles concernant l’ingérence des religions dans la vie privée…

L’éducation est justement le rempart au dévoiement de ces valeurs… Nous avons tous un devoir de transmission de notre culture, y compris par l’exemple. Notre fierté de jeunes gens était de savoir écouter les anciens, de montrer qu’on pouvait être utiles, d’obtenir la reconnaissance de nos capacités.

Le savoir-faire de nos parents nous accompagnait pas à pas vers l’autonomie en faisant de nous des adultes responsables. On nous confiait d’abord le poulailler, puis les vaches, puis les chevaux et tous les autres animaux de la ferme. Au travers de ces apprentissages, communs aux filles comme aux garçons, nous accédions progressivement à un statut qui nous valorisait au sein du village.

L’eau était sacrée…on apprenait à protéger les sources et les nappes phréatiques

De même pour la cueillette des fruits sauvages, il fallait apprendre à les reconnaître, à ne pas gaspiller, à ne cueillir que ce qui est nécessaire à nos besoins, à se repérer en forêt et à en appréhender les dangers. La finalité était de nous amener à comprendre et respecter la nature, y compris dans sa fonction nourricière, afin que l’on soit apte à pouvoir se débrouiller seul, en cas de besoin, pour s’alimenter et se soigner…

On nous apprenait à protéger les sources et les nappes phréatiques car l’eau était sacrée, à ne pas abîmer les herbes médicinales, à prendre soin de la fragilité des plantes et des insectes, à ne pas déranger les animaux venant de mettre bas et leurs nouveau-nés.

La transmission du savoir s’est longtemps faite ainsi de manière orale, ce qui n’allait pas sans des règles de discipline adaptées et intégrées par certains enfants au point d’étonner les anciens par leur maturité.

N’avaient-ils pas raison de s’inquiéter?… Ils étaient souvent hostiles à la scolarisation des enfants

Au temps de mon enfance, les parents étaient souvent hostiles à la scolarisation des enfants. Ils craignaient qu’en les envoyant à l’école ceux-ci soient coupés de leurs racines, qu’ils oublient l’enseignement familial traditionnel ce qui leur ôterait toute possibilité de réadaptation en cas d’échec… D’autant plus, qu’à l’époque, le pays manquait d’infrastructures créatrices d’emplois pour les jeunes diplômés. De fait, nombre de cerveaux africains sont restés à l’extérieur après leurs études.

Avec le recul, au regard de l’évolution de la société africaine, et sans être passéiste, je m’interroge : n’avaient-ils pas raison de s’inquiéter?  N’est-il pas temps d’inventer une école africaine moderne et respectueuse des valeurs et des traditions africaines ?

L’adage « dis, fais et vois’’…Moi j’y crois

Je voudrais saluer le courage et le talent des nombreux auteurs africains qui ont écrit de très beaux ouvrages pour valoriser l’Afrique et transmettre ses valeurs et sa grandeur à la postérité. Je regrette qu’ils ne soient pas suffisamment honorés par des statues ou la dénomination de rues et de places à leur nom. Je pense également à tous les artistes, cinéastes, plasticiens, conteurs, comédiens, danseurs, musiciens, etc. qui ont, par leur talent, porté la richesse de la culture africaine hors des frontières.

Nous devons aimer notre jeunesse, lui faire confiance, c’est elle qui est porteuse d’espoir et qui saura sauvegarder les valeurs d’humanité de notre culture afin que le mal ne l’emporte pas. Je suis tenté de rappeler ici, le vieil adage que mes parents me disaient souvent : « dis, fais et vois » : « il y a le temps de dire, le temps d’agir, le temps de voir l’action réalisée ».

Si vous, vous n’y croyez  pas, moi  Yé Lassina Coulibaly, j’y crois!

Soyons fiers de nos ancêtres africains!

 

Yé Lassina Coulibaly

Yé Lassina COULIBALY

06 76 03 71 66

Site officiel : www.yelassina.com

Artiste auteur-compositeur interprète

Musicothérapie sociétaire de la SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, Union des Artistes Burkinabés

Chevalier de l’ordre du mérite, des lettres et de la communication (agrafe musique et danse) du Burkina-Faso.

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