Pour l’homme de culture Yé Lassina Coulibaly, auteur de la présente réflexion, les peuples occidentaux devraient se dresser contre des politiques qui ne respectent pas la dignité humaine et visent à faire de certaines puissances les maitres du monde, au mépris de nombreuses vies humaines. «Tout se passe comme si nous étions au tournant d’une nouvelle ère : la feuille de route des grandes puissances est revisitée et ne va pas dans le sens des pays dits pauvres», poursuit-il. Lisez plutôt.

«L’équilibre mondial devient incertain, compromis par la remise en question des règles de la diplomatie internationale.
Tout se passe comme si nous étions au tournant d’une nouvelle ère : la feuille de route des grandes puissances est revisitée et ne va pas dans le sens des pays dits pauvres (alors qu’en réalité ils sont riches), dont l’économie sera forcément impactée par l’instabilité créée par ces changements des politiques internationales…
Certes, nous sommes faibles par rapport aux pays technologiquement les plus armés, mais il faut être lucide, rester sur ses gardes en ces temps troublés, il faut que les Africains se protègent face à l’orgueil affiché par certains… Les enjeux sont là!
Remettre la terre d’Afrique du Sud aux mains des blancs, c’était programmer un bain de sang! Cela aurait annulé des décennies de recherche d’égalité des droits et de cohabitation harmonieuse entre citoyens noirs et blancs pour lesquelles Nelson Mandela a tant lutté, comme l’avait fait Martin Luther King aux Etats Unis! Souvenons-nous du film « Cry freedom » qui a obtenu plusieurs Oscars!
Les peuples occidentaux devraient se dresser contre des politiques qui ne respectent pas la dignité humaine et visent à faire de certaines puissances les maitres du monde, au mépris de nombreuses vies humaines.
Face à la course à la production d’armes…
Face à cette violence et à la course à la production d’armes, il faut que l’Afrique affirme son indépendance pour contrer les désirs de suprématie venant de l’extérieur, s’organise pour se défendre afin que les africains ne soient pas utilisés une nouvelle fois comme de la chair à canon ou des esclaves des temps modernes.
La scandaleuse histoire de la colonisation de l’Afrique par certains pays européens est riche d’enseignement et ne doit pas se reproduire…
De l’exploitation de la Côte de l’or, au Ghana, pour ses richesses (ivoire, bois, or), au 14ème siècle, au système érigé par Jacques Foccart, visant à organiser l’accès aux ressources du sol et du sous-sol après les indépendances des pays d’Afrique de l’Ouest dans les années 1960, que de mépris et d’atteintes à la vie et à la dignité des peuples! Que d’hommes et de femmes sacrifiés sur l’autel du prestige des empires coloniaux!
Aux 16 ème et 17 ème siècles, ce sont les missionnaires qui sont envoyés pour contraindre les populations à se convertir, puis la capture d’Africains pour les vendre comme esclaves dans les Caraïbes.
La conférence de Berlin de 1884
En 1884, en réponse aux tensions entre les puissances européennes, suscitées par les découvertes de richesses insoupçonnées, la Conférence de Berlin a pour objectif de fixer les règles de la colonisation en Afrique. Celles-ci sont ainsi autorisées à conquérir des territoires (au-delà des comptoirs déjà établis sur les côtes), à condition de ne pas empiéter sur les colonies des autres…
Alors que le Royaume Uni instaure plutôt un système de collaboration, la France adopte la voie de la souveraineté avec la volonté d’assimilation des populations.
En 1944, lors de la Conférence de Brazzaville organisée pour discuter de l’avenir des colonies françaises, la France rejette toute possibilité d’évolution hors du bloc français, toute émancipation et toute idée d’indépendance sont écartées.
Pensée renouveler les liens entre la métropole et les territoires africains
La demande formulée par le dirigeant Guinéen Ahmed Sékou Touré de modification du texte proposé, est reçue comme une insulte par de Gaulle. Seule la Guinée ne votera pas ce texte.
Sékou Touré avait déclaré dans son discours: « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ».
Dans les années 60, Jacques Foccard est le monsieur Afrique de l’Elysée, responsable des accords, souvent secrets, sur le pétrole, l’or et l’uranium, en contre- partie de bénéfices militaires pour les colonies devenues indépendantes, à la tête desquelles la France installe des dictateurs au terme d’élections truquées…
C’est le règne de la françafrique et de la corruption, machine bien huilée avec la complicité de certains africains.
Heureusement, des hommes d’honneur se sont élevés courageusement contre ce système. Ils l’ont souvent payé de leur vie.
Plusieurs pays ouest africains se détournent de l’influence des ex-colonisateurs
Aujourd’hui, nombreux sont les pays d’Afrique de l’Ouest qui se détournent de l’influence des ex-colonisateurs et qui cherchent des alternatives… Ce mouvement pourrait se révéler salutaire dans la prise de conscience des liens invisibles qui nous relient encore à d’autres empires, à d’autres voix, à d’autres volontés, en dépit de plusieurs décennies d’indépendance … En un mot, vivons-nous dans une vraie Indépendance?
Car l’indépendance, la vraie, c’est plus que la liberté d’être un territoire, une constitution revue et modifiée au gré des circonstances. C’est la liberté de penser par soi-même, de choisir sans craindre, de rêver sans permission, la dignité de dire non, même en silence, de refuser les chaînes invisibles, celles qu’on ne voit pas, mais que l’on sent…
Il faut laisser aux africains, qui sont des peuples pacifiques, la liberté de gérer leur destin – un enfant ne peut pas avoir deux pères – La terre d’Afrique qui est le berceau de l’humanité appartient aux africains.
Lumumba au Congo ou Sankara au Burkina ont été éliminés
De grands patriotes, tels que Patrice Lumumba au Congo ou Thomas Sankara au Burkina Faso, ont tenté de rendre leur dignité aux Africains… Comme beaucoup d’opposants aux politiques post coloniales, ils ont été éliminés..
Oui, il y a des compétences et des valeurs, en Afrique : l’éducation, les connaissances, les cerveaux, les génies, les scientifiques ne manquent pas, des structures solides non plus, mais il faut les développer dans de nombreux domaines…
Ce continent, s’il est tant convoité, c’est qu’il contient des trésors inestimables, indispensables au développement des technologies de pointe et qui peuvent donner l’espoir à l’humanité… Seulement, l’Afrique a besoin de sa propre clé afin de prendre conscience de son pouvoir et cesser de brader ses richesses.
Dans le but de décrédibiliser l’Afrique, l’Occident fabrique des clichés pour camoufler les qualités des peuples africains: on nous traite d’inconscients, d’enfants, de paresseux, en oubliant que ce sont souvent les noirs qui font les sales boulots, à Paris, ou même qui soignent dans les hôpitaux français, et que de nombreux Africains sont bien présents dans l’économie mondiale et dans le domaine scientifique et médical.
Changer les règles et les systèmes..
Il est temps de changer les règles et les systèmes, de cesser de bafouer les valeurs humaines , de respecter les cerveaux africains: médecins, scientifiques, artistes, intellectuels…
Pour redonner un avenir à la jeunesse, l’Afrique doit se faire respecter, pouvoir faire entendre sa voix, parvenir à racheter les structures portuaires, maitriser les transports maritimes et aériens ainsi que la communication médiatique, faire la lumière sur les permis d’exploitations minières ou pétrolières, mettre fin au franc CFA en Afrique francophone…
N’est-il pas temps que les jeunes Africains cessent de rêver de l’Occident, qu’ils comprennent que le monde ne peut fonctionner sans l’Afrique?
Ne faudrait-il pas inverser la dynamique et susciter dans la jeunesse mondiale l’envie de découvrir l’Afrique au travers de ses civilisations, de ses valeurs et de son humanité afin de modifier le regard porté sur le continent et de favoriser, à l’avenir, des coopérations plus respectueuses de la dignité des Africains?
Envisager des partenariats économiques équitables
Il est temps d’envisager des partenariats économiques équitables, de prendre en considération les atouts et les faiblesses des deux parties, si l’on veut éviter des révoltes sanglantes, et de marcher ensemble dans le partage et le respect.
Les pays africains ont intérêt à adopter une stratégie commune de dissuasion, à s’armer pour assurer leur sécurité, car l’enjeu n’est pas national, il est à l’échelle d’un continent…
Depuis des décennies on est en résistance face à une forme d’impérialisme qui refuse que l’Afrique s’enrichisse et acquière réellement son indépendance économique… Nous ne sommes pas dupes, l’attitude des grandes puissances peut faire craindre que celles-ci s’organisent entre elles pour soumettre l’Afrique sous d’autres formes et continuer à se partager le gâteau, comme cela s’est produit lors de la conférence de Berlin, au 19eme siècle.
Au regard de ce triste constat, le silence des organismes internationaux, mais aussi des peuples du monde entier me stupéfie… Nous sommes tous des êtres humains, ils devraient s’indigner de ce qui de passe en Afrique. Pourquoi ne manifestent-ils pas pour soutenir les Africains comme ils le font pour bien d’autres causes?
Poursuite de l’ingérence des grandes puissances
Comment peut-on accepter que, depuis des décennies, les grandes puissances poursuivent leur ingérence dans les domaines politiques, économiques, de la santé, de l’éducation et de la culture, dans de nombreux pays africains? Quand on voit ce qui s’est passé au Congo, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, on ne peut pas tolérer le silence.
Quand je pense aux enfants, à leur peine, à ceux qui meurent, à leur avenir compromis, aux handicapés aux personnes âgées précarisées, aux hommes et aux femmes violés, je suis révolté. Tout est permis lorsque les crises politiques et les guerres civiles gangrènent un pays: les effets des pillages et de la barbarie sur les populations, abandonnées sans protection, sont désastreux. Tous les jours le sang coule et pas moyen de dialoguer.!.
Je me demande si les institutions internationales ne cultivent pas la soumission… Se préoccupent-elles de cet état de fait et de la nécessité d’aider l’Afrique à obtenir des ex-puissances colonisatrices des réparations pour les dommages causés et les crimes commis envers les peuples africains (notamment ceux de la traite négrière)? C’est pourtant un devoir et un droit!
L’Afrique n’a jamais été pauvre mais les systèmes politiques l’ont appauvrie
Non, l’Afrique n’a jamais été pauvre, les systèmes politiques mis en place l’ont appauvrie, dépouillée de son patrimoine culturel avec l’assentiment de certains Africains Mais elle résiste parce que d’autres Africains travaillent pour sa grandeur…
Personnellement, en tant qu’artiste, j’estime qu’il est temps de raisonner autrement et de restaurer la dignité des Africains qui, comme tous les êtres humains, sont en capacité d’apprécier l’art.
Au travers de mes créations musicales, c’est la voie que j’emprunte : la jeunesse africaine a le droit d’être reliée à son patrimoine, comme à la culture de l’autre… Les enfants et les jeunes doivent pouvoir être fiers des représentations dans l’art, de la beauté et de la noblesse de la femme et des hommes noirs… Je suis heureux de constater qu’en Europe, certaines femmes africaines honorent leur culture en valorisant l’art des tresses traditionnelles, avec fierté et élégance.
Enseigner la civilisation africaine dans les programmes scolaires
Pourquoi ne pas enseigner la civilisation africaine et la diversité culturelle dans les programmes scolaires où les auteurs africains sont insuffisamment mis en valeur.
Il faut que la jeunesse sache, par exemple, que quelques langues africaines ont été transcrites et enseignées dans des Universités, en Afrique comme à l’étranger.
A Paris, comme dans d’autres capitales européennes, il y a une demande de se familiariser avec les langues africaines. Chaque pays africain devrait s’attacher à mettre en valeur la richesse de sa culture dans les pays étrangers, à l’instar de ce qui se passe à l’Institut du monde arabe,.
Il serait essentiel de mettre en valeur le côté positif de chaque civilisation et de ne pas établir de hiérarchie entre elles. Trop de représentations de l’Afrique dévalorisent leurs origines auprès des enfants et adolescents noirs. Les informer et les aider à développer leur sens critique permettraient aux jeunes de mieux comprendre les discours contradictoires qu’ils entendent, selon que ceux-ci émanent de la famille, de l’école ou d’Internet…
Comment les pays occidentaux ont-ils pu humilier les populations noires…
L’obélisque de Louxor, emblématique de la place de la Concorde, à Paris, ne témoigne-t-il pas de la civilisation brillante des pharaons noirs égyptiens ? Comment, au regard d’une telle perfection, les pays occidentaux ont-ils pu humilier les populations noires, lors d’Expositions universelles et coloniales, courantes entre 1870 et 1940?
Il n’y a pas, non plus, d’homme supérieur à l’autre. Chaque personne possède en elle quelque chose de vital. Même les personnes handicapées ont un talent mais on ne prend pas le temps de le faire émerger et de le cultiver. La course au profit passe avant toute autre chose au risque de broyer la singularité de chacun, a fortiori s’il est différent…
En tant que auteur-compositeur, profondément attaché à mes racines africaines et respectueux de celles des autres, je me suis rendu compte en voyageant, tant en ville que dans les villages, que croire en la culture africaine, y compris en Afrique, c’est difficile, mais nécessaire pour ramener les valeurs ancestrales au service du développement de l’Homme.
La musique comme facteur de réconciliation nationale, de dialogue…
Une des démarches qui m’animent, au travers de mes recherches et créations musicales, est que la musique soit porteuse de lien social. Je me sers de mes notes musicales pour soigner la réconciliation entre les hommes, entre les générations, favoriser l’ouverture et le dialogue par des mots qui suscitent la sensibilité et la solidarité.
J’ai envie de mettre en lumière les différentes formes d’expressions artistiques traditionnelles, dans un but de mémoire et d’enseignement. Ceci ne peut bien sûr se réaliser qu’à partir de commandes institutionnelles,
Chacun d’entre nous est riche de son jardin familial et de son jardin secret. On a hérité de nos ancêtres le souci des autres, de ne pas oublier de nourrir ses voisins, ses amis, sa famille… Leur sagesse nous enseigne aussi que cela ne nous appauvrit pas, au contraire on s’enrichit en trouvant la sérénité et la paix de l’esprit. Nos parents nous ont transmis en héritage l’importance du partage au sein du groupe, quel qu’il soit, la lumière qui peut en jaillir dès lors que l’on se débarrasse du carcan de l’individualisme, et ça c’est un combat que chacun peut mener à son niveau.
Des souvenirs de mon enfance…
De mon enfance, je garde le souvenir de ma mère, chantant et me racontant des contes, m’amenant avec elle dans les cérémonies au sein des villages ou dans la nature pour récolter les plantes qui soigneraient ses enfants et les enfants des autres.
Ma mère m’a transmis le goût de la culture et comment soigner; mon père ses connaissances en agriculture et élevage, son esprit d’entreprise et son souci d’éducation et de bonne gestion.
Mon oncle m’a appris le métier de pêcheur et de tisserand, ma tante celui de la restauration. Eux-mêmes tenaient leur richesse de leurs propres parents et grands-parents, et je ne cesse de leur rendre hommage à tous.
Mais au-delà de leurs savoirs professionnels, tous m’ont nourri de leur humanité et de leur profond respect pour la nature. Moi-même qui suis attaché à toutes ces connaissances et valeurs, j’ai toujours été en communication avec la faune et la flore ainsi qu’avec tous les éléments naturels.
Je parle ainsi au nom d’une civilisation et d’une histoire, en un seul mot un patrimoine culturel, dont des sages ont perpétué la mémoire à chaque génération et dont mes parents Yé et Sékou Coulibaly m’ont transmis les valeurs.
» ils ont arraché les feuilles et l’écorce de l’arbre mais les racines restent »
Le grenier de la conscience du Faso n’est jamais vide et si une partie des trésors africains a été volée ou détruite, » ils ont arraché les feuilles et l’écorce de l’arbre mais les racines restent ».
Au cours des siècles, ce patrimoine a voyagé dans le monde entier au travers d’objets sacrés dans lesquels l’Europe et nombre de nations ne voyaient que l’aspect artistique ou folklorique…
Or, la plupart de ces objets (masques, statuettes, objets fétiches), soulignaient l’importance de la représentation de l’univers: la lune, le soleil, les étoiles, l’air, l’eau, le feu, les animaux, les végétaux, les minéraux ou symbolisaient les principaux évènements de la vie, en particulier la naissance et la mort, l’amitié, l’amour, la valeur du serment, ainsi que les caractéristiques physiques et mentales de l’homme.
Ils étaient chargés de rassurer, d’apaiser les esprits…
Au-delà de l’aspect esthétique et figuratif, ces objets avaient une fonction précise et jouaient un rôle fondamental dans le développement de l’homme et l’enseignement de la vie au sein du groupe et de la famille. Ils étaient au cœur de la transmission de génération en génération…
Dans les moments difficiles de catastrophes naturelles ou d’évènements que l’on ne contrôle pas, ces objets étaient chargés de rassurer, d’apaiser les esprits et d’améliorer la communication.
Porteurs de sagesse et de symboles pour les initiés, ces objets avaient un rôle dans la construction de la connaissance afin d’affronter les vicissitudes de la vie, et donnaient la force de se confronter au monde de la brousse et de la forêt.
Ils accompagnaient les activités rythmées par le cycle des saisons et les cérémonies où chants, danses et musiques tenaient une grande place … Ils avaient également une fonction thérapeutique, par la transmission de la connaissance de ce que la nature nous offre pour nous soigner.
Car, chez nous, rien n’est hasard, les objets ont leur utilité conjuguée avec la connaissance de ceux qui ont la capacité de voir la vie autrement, au-delà du visible…
Les masques, l’âme de l’Afrique, mais banalisés par les occidentaux
Les masques, tant appréciés mais banalisés par les occidentaux, sont l’âme de l’Afrique. La philosophie des masques était partagée par tous les villages, sur les places publiques et les lieux sacrés. La sagesse veut que cette richesse soit partagée mais pas n’importe comment, ni à n’importe quel prix.
Les masques africains représentent les puissances de l’au-delà, associent le cosmos à la vie terrestre. Ils constituent le support temporaire de tout Etre ou Force invisibles. Au moment où l’homme porte ce masque, le porteur est investi des attributs d’une force divine et sociale.
Ils sont conçus pour être utilisés lors de cérémonies sociales, religieuses ou initiatiques et pour célébrer les rites liés à la naissance ou à la mort, ou bien à des fins culturelles.
Ils rappellent aussi, par l’expression des danses lors des cérémonies, les sept forces qui constituent l’énergie de l’homme.
L’enseignement des pratiques traditionnelles tend se perdre…
Hélas, avec l’urbanisation et le développement des techniques modernes, l’enseignement de ces pratiques traditionnelles tend à se perdre… Cependant, nombre d’initiés continuent à titre individuel à rester connectés à ces savoirs et à cette sagesse de leurs ancêtres en revenant au village se ressourcer et rechercher la pureté et l’essentiel.
Ce qui me bouleverse, c’est que ces objets sacrés aient été détournés de leur usage rituel, que l’âme et les fonctions de ce patrimoine aient disparu au fur et à mesure de leur dispersion dans le monde entier.
En effet, alors que ces statuettes, masques et autres objets avaient tous leur signification, leur vertu, ce patrimoine ancestral a été subtilisé aux africains, soit par le vol, soit par un commerce alimenté par la pauvreté et la crédulité des africains eux-mêmes.
Au temps de la pénétration de l’Afrique par les envahisseurs et les barbares, par la voix des religions importées, y compris sous certains empires, on nous disait que ces objets symbolisaient le mal, étaient sataniques et qu’il fallait d’en débarrasser… Ainsi, seule une infime partie de ce patrimoine a été sauvegardée…
Paradoxalement, on retrouve l’Art africain, censé être satanique, dans le monde entier et dans tous les domaines. Son graphisme est source d’inspiration artistique et est reproduit sur des objets de luxe de grandes marques… Il est reconnu et détenu par des particuliers, ou exposé dans des musées publics ou privés.
Pourquoi les avoir soustraits à l’Afrique alors si …?
Si ces objets rituels représentaient le mal, pourquoi s’en être emparé et les avoir soustraits à l’Afrique, sinon pour alimenter une économie de l’art à des fins mercantiles?
Sortis de leur contexte géographique et culturel ils perdent leur valeur originelle au profit de significations que leur attribuent scientifiques ou ethnologues, en fonction de leurs recherches ou de leur enseignement.
Ce que je dénonce, c’est le trafic de pièces originales ayant été utilisées dans leur fonction rituelle, puis détournées de leur aspect sacré dans le but de satisfaire la demande des collectionneurs africains ou occidentaux.
Oui, le retour de ces statues et autres objets sacrés serait une grande joie, une immense fierté pour les Africains, à saluer par une nouvelle écriture de l’histoire…
Oui, il est temps que ce patrimoine revienne à l’Afrique, que les africains le replacent dans son contexte et lui restituent sa signification première.
En rendant hommage aux ancêtres, qu’ils fassent de nouveau vivre et rayonner la puissance de l’esprit, capable de susciter l’émotion, la spiritualité et de nourrir le jardin du coeur, afin que le matérialisme n’emporte pas tout sur son passage!
Les Africains doivent faire connaître leur culture
C’est aux Africains de faire connaître leur culture, on a trop fait confiance à l’extérieur qui ne disposait pas des clés pour comprendre la civilisation africaine, pour témoigner d’une éthique, d’une réflexion et d’une organisation évoluée de nos sociétés ancestrales.
Il faut faire confiance aux Africains, mais force est de constater que leur parole n’a pas la même valeur que celle de ceux qui décident dans les instances internationales. Si les institutions qui détiennent ces objets les considèrent comme des trésors de l’humanité et pensent que les africains ne sont pas en mesure de garantir leur protection, alors ils doivent envisager de financer l’aménagement de lieux sécurisés dotés de personnels compétents. Cela aurait l’avantage de valoriser de jeunes africains cultivés tout à fait capables d’expliquer leur propre culture chez eux…
On a commencé à concevoir des musées, encore faut-il les rendre pédagogiques et interactifs pour qu’ils favorisent l’éveil et la transmission. Cela peut paraître mineur par rapport à des enjeux plus importants tels que la santé, la scolarisation, l’aménagement du territoire mais, promouvoir l’intelligence humaine tout en créant des emplois constituerait une avancée de progrès…
Les jeunes auraient besoin de ces supports culturels…
Les jeunes auraient besoin de ces supports culturels que sont les objets sacrés pour se construire, s’organiser, approfondir leurs connaissances, concilier le passé et le présent afin de se projeter dans l’avenir, de retrouver la dignité en même temps qu’une identité culturelle.
Force est de constater que les nombreuses connaissances acquises par les élites formées à l’extérieur, ne sont pas toujours adaptées aux réalités africaines, ne tiennent pas suffisamment compte des caractéristiques de la terre et du climat ni de l’adaptation nécessaire des outils…
De plus, lorsqu’ils reviennent au pays, les étudiants ne sont pas toujours soutenus dans leurs projets par les gouvernements, même s’il y a des tentatives d’amélioration. Afin de combler ce vide et redresser la jeunesse, il faudrait des universités et des laboratoires de recherche dont l’enseignement aille dans le sens d’un progrès adapté à l’Afrique.
On a trop fait confiance à l’extérieur, l’Afrique est capable de s’industrialiser. C’est vraiment triste et déplorable que l’Afrique soit méprisée et humiliée sur son propre sol par l’exploitation massive de ses matières premières agricoles et minières : café, cacao, pétrole, cobalt, uranium, or, diamants, etc…
Tout n’est pas imputable à l’extérieur…
Dans ce constat amer, il faut reconnaître que tout n’est pas imputable à l’extérieur. L’ennemi n’est-il pas aussi à chercher chez nous-mêmes?
Il est temps de rompre avec ce passé et de porter un autre regard sur l’Afrique! Ce temps est révolu mais celui de la considération et du respect n’est pas encore venu… L’Afrique doit se reconstruire aussi au travers de la mémoire qui lui a été volée. On a fragilisé l’organisation ancestrale qui évitait les tensions et soudait les individus entre eux.
Pour ce faire, elle doit se garder de toute forme d’aliénation aveugle, qui détourne les gens de la structure traditionnelle de la société, quelle qu’en soit la source… Féla Kuti chantait que les religions importées détruisaient la jeunesse africaine et nous affaiblissaient.
On peut s’ouvrir au monde moderne sans négliger les fondements de notre société, même si je préfèrerai toujours mon tô au Macdo! Le Japon conjugue très bien évolution technologique et tradition…
Pourquoi les rituels devraient-ils disparaître ?
Pourquoi les rituels devraient-ils disparaître, comme nos forêts qui sont victimes de la déforestation? Pourquoi devraient-ils être sacrifiés comme l’est notre eau?
Les objets glorifiant l’énergie de la connaissance, suscitant l’espérance n’appartiennent pas au folklore, ils ont un sens, une utilité, une fonction. Ils aidaient les populations à vivre, pourquoi n’aideraient-ils pas un continent à se redresser?
Je suis émerveillé de découvrir l’intelligence de l’organisation des sociétés anciennes, de l’usage des objets rituels tant au quotidien que lors des cérémonies et des réjouissances, et comme support de transmission du savoir.
Il y a des siècles, l’homme était tellement organisé qu’il savait couler les métaux, ce qui leur permettait de fabriquer sur place des outils dans de nombreux domaines. Là où il y a eu persistance du savoir et du savoir-faire artisanal, les peuples ont perduré.
Les grandes familles, les premiers habitants des territoires, le cosmos, la chasse, l’agriculture, l’élevage, la beauté, les coutumes, les fiançailles, les funérailles, les soins, étaient symbolisés par des totems.
Nos ancêtres savaient survivre dans un environnement parfois hostile…
Autrefois, nos ancêtres savaient survivre dans un environnement parfois hostile… Ils disposaient d’une organisation ancestrale qui s’appuyait sur des valeurs de fraternité afin que les plus faibles puissent bénéficier de la connaissance et de l’accès à l’autonomie, comme les plus forts.
Ils disaient qu’un peuple désorganisé va s’inventer un dieu à adorer, afin d’être protégé. Dans la culture ancestrale le nom de dieu n’est mentionné nulle part, ça n’était pas nécessaire.
D’ailleurs, si Dieu existe pourquoi autant de conflits entre les humains, pourquoi la violence, pourquoi la pédophilie, pourquoi le terrorisme, pourquoi la couche d’ozone, pourquoi les déchets nucléaires déversés dans des zones où les populations ne sont pas écoutées.
Imaginez l’humanité et la modernité de la pensée des Chasseurs du Manden dont Youssouf Tata Cissé, ethnologue, s’est fait l’écho dans deux ouvrages qu’il y a consacré: « La confrérie des chasseurs Malinkés et Bambaras », ainsi que dans ses travaux sur la Charte du Manden.
La Charte du Manden au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité
C’est sur la base de ces travaux pertinents, de Youssouf Tata Cissé, que l’UNESCO a inscrit, en 2009, la Charte du Manden au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Cette Charte qui remonte au 13ème siècle, prône le respect de la vie, l’altruisme, le libre arbitre de l’homme, l’abolition de l’esclavage et reste une référence majeure pour l’Afrique de l’Ouest.
En effet, dès le 11ème siècle, les différents empires, Soninké au Ghana, Malinké au Mali, Peuls, Gans, Mossis, Bambara, Samous, Gouroussis, etc., ont structuré la société africaine de cette région.
Sans parler de la civilisation du peuple Tellem qui, pour fuir l’islamisation au 11ème siècle, s’est réfugié dans les habitations troglodytes des falaises de Bandiagara au Mali jusqu’à ce qu’il en soit chassé par les Dogons, quatre siècles plus tard…
Dans les pas de Cheikh Anta Diop, des chercheurs, tel Youssouf Tata Cissé, s’attachent à mettre en lumière la richesse de l’histoire des empires et des épopées de l’Afrique de l’Ouest, mais leurs ouvrages ne sont pas accessibles au niveau scolaire, car ceux-ci sont édités hors de l’Afrique et leur diffusion en est limitée. Leurs travaux démontrent que l’on peut sortir de la tradition orale dans laquelle on nous cantonne souvent.
Je ferai également référence à d’autres personnalités, écrivains ou artistes, qui ont lutté pour faire reconnaitre la richesse de la civilisation africaine et son humanité : Aimé Césaire (fondateur du mouvement littéraire de la négritude et auteur de « Discours sur le colonialisme »), Amadou Hampâté Bâ (auteur de « L’étrange destin de Wangrin »), Camara Laye (auteur de « L’enfant noir »), Sory Camara (auteur de « Gens de la Parole »), etc… J’encourage à lire ou relire tous ces ouvrages…
L’action de Christiane Taubira, femme politique française
Je citerai aussi l’action de Christiane Taubira, femme politique française, pour faire voter au Parlement une loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité.
Et, pour rappel, je ne peux passer sous silence les écrits de Marcel Griaule (« Dieu d’Eau »), Michel Leiris (« L’Afrique fantôme »), Germaine Diéterlen (« Essai sur la religion bambara »), Maryse Condé (« Ségou »).
Parmi les artistes, je citerai entre autres, Francis Bébé et Myriam Makeba qui avaient les pieds ancrés dans la terre rouge et se sont attachés à saluer notre patrimoine culturel tout en défendant d’autres cultures à l’instar de Johnny Clegg.
L’Afrique peut être sauvée par elle-même, par le travail, le sens critique, la lucidité, la maturité que, sans aucun doute, elle possède. Car des dangers nous guettent: aucune coopération extérieure n’est gratuite…
De la nécessité de l’unité de l’Afrique
On a intérêt à être unis pour barrer la route à l’avidité impérialiste, d’où qu’elle vienne… Le dragon à deux têtes est prêt à s’accaparer le sol, et surtout le sous-sol, en achetant des terres comme il a mis la main sur les ports et les infrastructures.
Le libéralisme à l’état sauvage c’est encore pire que le mépris de nos traditions…C’est l’enfer qui se prépare!
Néanmoins, et pour terminer sur une note optimiste, je veux croire au retour des objets rituels de notre civilisation. Restituer ces oeuvres à l’Afrique serait une manière de demander pardon, d’apaiser les rancoeurs et de rendre aux Africains leur dignité et la fierté de leur culture.
J’ai l’espoir en la jeunesse africaine! Je souhaite sincèrement que ce texte suscite l’espérance, soit lu comme le témoignage d’un enfant du Faso nourri de la bibliothèque vivante de ses ancêtres et des personnes âgées, mais aussi de sa confrontation aux autres cultures…
Et que mon expérience, car cet enfant c’est moi, serve à donner le courage d’entreprendre, aiguise la curiosité et l’envie de communiquer. On devient un homme au bout d’un long parcours de construction personnelle car la vie est un défi…
La foi à la grandeur et aux valeurs de respect et de fraternité de la civilisation africaine
Quant à moi, je continuerai à croire en la grandeur et aux valeurs de respect et de fraternité de notre civilisation, tout en m’ouvrant à celles des autres. Je continuerai à chercher à aider les hommes à vivre ensemble dans une humanité apaisée…
Plus que jamais, je ferai connaitre et valoriserai auprès de mon public les richesses de la culture africaine et de l’art. La musique, la poésie, la danse, les contes m’ont toujours permis d’ouvrir le cœur des gens au-delà des frontières…
Et je salue tous les artistes africains qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour faire vivre notre culture…
A la marche de l’humanité, l’Afrique a contribué par ses connaissances ancestrales et par sa sensibilité.
Tout n’est pas perdu tant que l’on reste ouvert et confiant en l’intelligence d’hommes et des femmes animés par la fierté de leur civilisation et le respect de celle des autres… Une civilisation, ça ne se combat pas, ça se partage!
L’Afrique n’a rien à envier aux autres continents
Sur ce plan, l’Afrique n’a rien à envier aux autres continents : elle est dans une démarche civilisatrice, est à la recherche d’un processus d’équité, de partage, dans tous les domaines de la vie humaine et de l’organisation sociale, économique et politique… Ce processus sera très long et difficile car il se doit de tout prendre en compte, y compris le cosmos et l’univers…
En effet, dans l’Afrique profonde, les principes régissant les sociétés humaines sont organisés de telle sorte que l’on ne doit faire de mal, ni tuer tout ce qui a un coeur. La dignité et la liberté de l’homme sont des valeurs essentielles de la Charte du Manden, de même que l’éducation et la transmission des savoirs au sein de la famille. C’est ainsi qu’au travers de l’amour de mes parents j’entends le souffle du continent africain.
La jeunesse africaine rêve de souveraineté
N’oublions pas que la jeunesse du Burkina Faso, du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée Conakry, du Togo, du Bénin, du Cameroun, de l’Afrique du Sud, du Congo, etc, rêve de souveraineté pour l’Afrique sur le plan politique, économique et culturel…
Je ne veux pas la haine, je ne recherche pas la revanche, je suis simplement dans la marche du monde, d’un monde où le vivant sous toutes ses formes est pris en compte, où la différence est considérée comme une richesse, où la justice n’est pas une faveur, où l’honneur ne se vend pas aux enchères, où le peuple ne ploie plus sous le poids du silence…
Plutôt que vouloir toujours fabriquer un coupable, il faut croire au génie créateur, à des acteurs crédibles, riches de l’histoire de leurs pays mais animés d’une volonté de créer une dynamique d’espoir pour l’humanité…
Croire au 3ème homme capable d’apaiser les tensions sociétales
En Afrique, on ne le souligne pas assez, on croit à Dieu, au marabout, pas au 3ème homme capable d’apaiser les tensions sociétales en équilibrant culture, sécurité et économie….
Au cours de ma vie, j’ai rencontré trois types d’être humain:
– celui qui te crée des problèmes et qui fuit,
– celui qui t’abandonne en plein vol,
– celui qui répare et t’amène à l’espoir.
C’est de ce dernier dont le monde a besoin : on le croisera tôt ou tard… Ne peut -on pas aussi se mobiliser pour faire advenir, à défaut d’un hypothétique homme providentiel, un processus de construction d’une nouvelle voie pour l’Afrique?
Yé Lassina Coulibaly art et culture,
Site officiel : www.yecoulibaly.com
Artiste auteur-compositeur interprète
Musicothérapie sociétaire de la SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, Union des Artistes Burkinabés
Chevalier de l’ordre du mérite, des lettres et de la communication (agrafe musique et danse) du Burkina-Faso. concert, spectacle, pédagogie 00 336 76 03 71 66»